Maxime Livio : le travail du cardio du cheval

25 mars 2024 ,

Rencontre avec un cavalier professionnel et entraîneur

Maxime Livio est un cavalier de concours complet de haut niveau. Il est numéro 1 français depuis 12 ans et dans le top 20 mondial. Maxime dirige une écurie située à côté de Saumur. Cette écurie compte 70 chevaux parmi lesquels se trouvent des chevaux de haut niveau destinés seulement au sport, des chevaux de commerce et des chevaux d’élèves, du niveau amateur jusqu’au très haut niveau. Maxime Livio est également l’entraîneur de l’équipe de Thaïlande qui est basée à l’écurie depuis une dizaine d’années.
Maxime Livio partage ici son expertise et ses conseils pour optimiser le travail cardio du cheval, et améliorer ainsi sa capacité à soutenir l’effort, à récupérer rapidement et à exceller dans toutes les disciplines équestres.

L’intérêt du cardio dans toutes les disciplines

L’appareil cardiovasculaire du cheval

Horse Pilot : Quelles sont les particularités de l’appareil cardiovasculaire du cheval ?

Maxime Livio : Un peu comme chez l’Homme, on constate chez les chevaux des liens entre le mouvement, le rythme cardiaque et la respiration. Au galop, la respiration est basée sur le rythme et la mécanique de la foulée. Les chevaux inspirent et expirent sur le temps d’une foulée de galop, ce qui a une incidence sur la façon de récupérer. Un cheval qui a des petites foulées répétées aura une respiration plus rapide, et donc un rythme cardiaque plus rapide. Un cheval qui a une grande foulée aura une capacité cardiaque et une endurance un peu supérieures.

Le travail du cardio du cheval

HP : Pourquoi est-il essentiel de travailler le cardio de son cheval ?

M.L. : Le cœur est un muscle et, comme pour l’Homme, il est essentiel de l’entraîner pour augmenter sa capacité à gérer des amplitudes de travail de plus en plus importantes. L’entraînement permet au cœur de passer du repos au travail puis à la récupération en fonctionnant toujours de manière optimale.
Par ailleurs, chez le cheval comme chez l’Homme, les émotions ont des répercussions sur le rythme cardiaque. Certains chevaux peuvent avoir un rythme cardiaque un peu anormal par rapport à l’exercice qu’ils sont en train de faire. Cela peut être consécutif à un effet de surprise comme lorsqu’on croise une biche sur la piste de galop, ou à une situation nouvelle comme lorsqu’un jeune cheval émotif fait son premier parcours de cross.
Le travail du cardio doit donc être très progressif et tenir compte de ces différents aspects qui peuvent en perturber le fonctionnement.

HP : Comment ce travail influence-t-il la performance du cheval dans les différentes disciplines équestres ?

M.L. : La clé de l’équitation réside dans le dosage des actions du cavalier car elles ont des répercussions sur les actions du cheval. Lorsqu’on sollicite le cheval, son rythme cardiaque augmente, et cela entraîne forcément des conséquences. Par exemple, les erreurs de fin de parcours ou de reprise sont souvent dues à un manque d’oxygénation du cerveau combiné à la fatigue et à l’augmentation du rythme cardiaque. Les actions du cavalier peuvent alors être un peu plus brutales, ce qui entraîne une certaine crispation. On doit donc mettre en place un entraînement progressif et régulier dans toutes les disciplines pour amener les chevaux à avoir le mental, la musculature et le cardio adaptés au niveau qu’ils doivent pratiquer.

Maxime Livio : le travail du cardio

Ce que l’on cherche à travailler

Les principaux objectifs

HP : Quels sont les principaux objectifs que vous visez en travaillant le cardio de vos chevaux ?

M.L. : On cherche progressivement à développer l’endurance à l’effort. Dans un premier temps, il est essentiel d’apprendre au cheval à fonctionner pour faire travailler correctement son corps. Toute sa biomécanique se met alors en route. Les muscles travaillent plus, ils demandent plus de sang et plus d’oxygène. Le but est de développer parallèlement les filières aérobies et anaérobies, donc l’endurance et la puissance, pour amener les chevaux à assumer un effort de plus en plus long et de plus en plus intense.

Personnaliser l’entraînement du cardio du cheval

HP : Comment adaptez-vous l’entraînement cardio en fonction des besoins individuels de chaque cheval ?

M.L. : Pour moi, l’entraînement doit être adapté à la personnalité de chaque cheval. Par exemple, un cheval introverti aura besoin d’être entraîné régulièrement sur un niveau facile pour lui afin qu’il gagne en confiance et prenne conscience de son potentiel. À l’inverse, un cheval très sûr de lui devra s’entraîner sur des exercices intenses dans la difficulté technique, mais plutôt courts pour ne pas le blaser.
L’entraînement cardio doit également tenir compte du potentiel intrinsèque des chevaux. Chez les chevaux naturellement rapides et énergiques, le but est de leur apprendre à se canaliser pour tenir sur la longueur. On leur proposera donc des entraînements longs et lents. À l’inverse, les chevaux endurants et mono vitesse devront travailler sur des galops fractionnés pour changer de rythme régulièrement. Le changement de rythme est important pour ces chevaux car s’ils ne se fatiguent pas, ils ne progresseront pas.

Suivi médical pour suivre l’efficacité du travail du cardio : cœur, poumons, fréquence cardiaque …

HP : Quels paramètres médicaux surveillez-vous pour ajuster le programme d’entraînement cardio de vos chevaux ?

M.L. : Le suivi médical s’effectue à différents niveaux. Lorsque le cheval est en action, on contrôle sa fréquence cardiaque à l’aide d’un cardiofréquencemètre. Personnellement, je trouve que cet outil déconnecte un peu le cavalier de ses sensations, qui à mon sens, sont plus pertinentes pour évaluer sur l’instant l’état de son cheval. Par contre, ces données sont importantes car elles sont ensuite récupérées par différents vétérinaires qui m’aident à les analyser.
Le suivi médical à l’effort permet d’évaluer l’efficacité de l’entraînement. Le but recherché est d’aller vers une diminution de la fréquence cardiaque et du temps de récupération sans diminuer l’intensité du travail.

Le contrôle régulier de l’appareil respiratoire fait également partie du suivi médical. Les chevaux ne sont jamais à 100% de leur capacité respiratoire mais on peut l’améliorer grâce à des petits traitements administrés par nébulisation ou par voie orale. Ces traitements permettent aux chevaux de gagner entre 5% et 15% de capacité respiratoire et leur redonnent un élan dans la durabilité de l’effort.
Un autre aspect important du suivi médical concerne l’alimentation. La qualité de la nourriture influence la façon dont celle-ci est digérée et assimilée, et impacte donc directement sur les performances cardiovasculaires du cheval.

Enfin, le harnachement fait également l’objet d’un suivi rigoureux. Pendant l’effort, certains chevaux ont la bouche sèche et cela peut avoir des conséquences sur la qualité de la respiration. Pour aider ces chevaux, je leur mets un peu d’huile de paraffine dans la bouche, juste avant de partir sur un cross. Leur bouche reste ainsi très humide, ce qui leur permet de garder un bon rapport avec leur embouchure et de mieux respirer.
Le suivi médical englobe donc de nombreux aspects qui ont tous leur importance et qui augmentent considérablement le potentiel cardio des chevaux.

Maxime Livio : travail du cardio du cheval

Protocole de travail et variation des exercices

Le nombre de séances

HP : Combien de séances par semaine préconisez-vous pour développer et entretenir efficacement le cardio de son cheval ?

M.L. : Cela dépend de la discipline et du niveau d’épreuve. D’une manière générale, il ne faut pas plus de 2 séances/semaine qui sollicitent les jambes (saut, galop) et idéalement espacées de 4 jours. En fonction du niveau d’épreuve, le galop peut être remplacé par un trotting, qui n’est pas considéré comme un exercice sollicitant pour les jambes. C’est l’équivalent du footing, dont le but n’est pas de développer la condition physique, mais seulement de l’entretenir. Mes chevaux de haut niveau font un trotting et un galop par semaine. Le lendemain d’une séance de saut, on emmène les chevaux en trotting pour leur aérer la tête et les sortir de la carrière. Les jours qui restent, on fait du dressage.

La durée

HP : Quelle doit être la durée de ces séances pour être efficaces ?

M.L. : Cela dépend du niveau d’épreuve mais il y a malgré tout quelques règles à respecter. Par exemple, pour une récupération complète, le temps de trot après un galop doit être une à deux fois le temps galopé. En ce qui concerne l’échauffement, on a la chance, là où on entraîne les chevaux, d’avoir une petite colline assez raide. En début d’entraînement, on y fait trotter les chevaux en montée et en descente, pendant 15 à 25 minutes en fonction de l’épreuve qu’on prépare. Cet exercice est très intéressant car il permet de faire monter le cardio sans trop solliciter les jambes ni le corps.

Il est important de garder en tête que le galop rapide prolongé n’est pas sans risque pour la santé du cheval. Mieux vaut galoper à une allure raisonnable et faire de temps en temps des accélérations plutôt que de galoper longtemps à une vitesse élevée.
Le seul moyen de faire monter le cardio sans accélérer, c’est d’augmenter la pénibilité du travail, donc d’évoluer sur une côte ou sur un terrain profond. Lorsqu’on va à Granville pour galoper les chevaux de l’équipe de France avant une échéance, on choisit le sol en fonction de l’effort qu’on recherche. Plus il est profond, plus le cheval doit employer sa mécanique pour travailler, ce qui a pour effet d’augmenter le cardiaque sans avoir besoin d’accélérer.

Le protocole standard

HP : Quel est votre protocole standard pour l’entraînement régulier du cardio d’un cheval ?

M.L. : Le quotidien de nos chevaux à la maison est assez répétitif, ce qui leur permet de monter en condition naturellement. Ils commencent par 30 minutes de marcheur le matin, et enchaînent avec une séance de travail qui dure entre 30 et 45 minutes, quelle que soit la discipline. Ils vont ensuite quelques heures au paddock puis font une autre séance de marcheur de 30 minutes. La journée s’achève avec les soins.

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Le protocole ciblé de Maxime Livio

HP : Pouvez-vous décrire un protocole d’entraînement ciblé pour développer le cardio de vos chevaux en prévision des compétitions ?

M.L. : Quand on arrive à un certain niveau d’épreuve, on rajoute au protocole standard un ou plusieurs trottings, ou un trotting et un galop toutes les semaines. L’entraînement doit toujours être progressif et augmenter crescendo en intensité. Par exemple, j’ai démarré les galops de mes chevaux au mois de janvier pour préparer une épreuve qui aura lieu au mois de mars. Les premiers galops avaient pour seul but de réhabituer le corps des chevaux à changer de vitesse après avoir passé 6-8 semaines à la maison à faire des petits trottings et à travailler en carrière. Les galops suivants étaient un peu plus longs, mais toujours sans effort.

Aujourd’hui, un mois après le début de la reprise, on constate que le corps et le mental des chevaux est capable d’assumer un effort plus important. On va donc augmenter un peu la variation de la vitesse et la pente pour faire monter le cardio et commencer à faire travailler les chevaux dans le but de les faire progresser. L’idée est d’amener les chevaux au mieux de leur condition physique sans jamais dépasser la mesure. C’est un juste dosage à trouver et il ne faut pas hésiter à se rapprocher de son entraîneur pour obtenir un protocole personnalisé en fonction de l’objectif visé.

La variation des exercices

HP : Pourquoi est-il important de varier les exercices proposés ?

M.L. : Parce que c’est plus marrant ! Ce qu’on propose dans le complet est tellement varié que les chevaux s’amusent à passer d’une discipline à l’autre. C’est pourquoi je pense que la diversité des exercices est importante dans toutes les disciplines. Un cheval qui s’est aéré la tête sera plus disponible pour faire du dressage les jours d’après. De même qu’un cheval de CSO qui a enchaîné les concours sera heureux de faire un break en mettant les pieds dans l’eau ou en faisant des balades en forêt. Il pourra ensuite refaire des petits trottings ou des petits galops, avant de retourner en concours dans de bonnes conditions physiques et mentales.
Varier les exercices est également utile physiquement car cela permet aux chevaux d’être à l’aise sur tous les types de sols, que ce soit sur l’herbe, sur le sable, en montée, en descente, sur un terrain profond, ou au contraire plus ferme.

Focus complet avec des idées d’exercices : en extérieur, en carrière …

HP : Pourriez-vous partager des exercices spécifiques, tant en extérieur qu’en carrière, particulièrement efficaces pour travailler le cardio du cheval ?

M.L. : En carrière, j’aime bien galoper longtemps, entre 8 et 12 minutes, en enchaînant, par exemple, une ligne droite, un peu plus rapide, où je vais me mettre en suspension, et une volte où je vais m’asseoir pour obliger le cheval à se grandir et à se rassembler. Il faut toujours veiller à équilibrer le travail à chaque main. On peut également travailler les changements de pied parce que ça oblige les chevaux à rester concentrés. Le travail au galop en carrière permet de reproduire les conditions du concours à une vitesse moindre, et habitue les chevaux à rester attentifs longtemps.

En extérieur, on travaille sur du dénivelé et on s’entraîne à monter et à descendre au trot ou au galop si le sol le permet. Cet exercice apprend aux chevaux à pousser dans la montée, et à se tenir et s’équilibrer dans la descente. Cela permet de travailler les chevaux comme on les travaillerait sur le plat, à la différence qu’ils répondent ici à une contrainte inhérente au dénivelé et non à une demande du cavalier. Ils acquièrent ainsi une certaine expérience qui leur servira ensuite en concours.

Maxime Livio : cardio du cheval

Récupération

Importance de la phase de récupération dans le travail de cardio du cheval

HP : En quoi la phase de récupération est-elle cruciale pour optimiser la santé et les performances à long terme d’un cheval ?

M.L. : Après un gros effort, la récupération est très importante parce qu’elle permet d’enlever l’acide lactique des muscles et donc d’éviter les courbatures et les raideurs musculaires qui peuvent entraîner différents problèmes comme les tendinites. Plus la récupération est longue et progressive, moins l’effort produit aura de conséquences par la suite.

À l’arrivée des cross, on met en place deux sortes de récupérations. La récupération active consiste à faire trotter puis marcher les chevaux un long moment pour que le cardio redescende progressivement. L’autre type de récupération consiste à faire baisser la température corporelle en mouillant le cheval avec de l’eau fraîche, puis à le faire marcher. Avec cette méthode, le rythme cardiaque redescend plus vite, ce qui est très utile pendant les compétitions où le temps de récupération doit être optimisé.

Enfin, la récupération comprend également tous les petits soins locaux à faire sur les jambes. On utilise notamment le froid qu’on applique sur les pieds, les boulets, les paturons, les tendons, voire jusqu’aux genoux en fonction des chevaux. Après le froid, j’utilise également l’argile que je laisse sécher sur les jambes pour resserrer les tissus qui se sont dilatés pendant l’effort. La récupération doit permettre au cheval de revenir à son niveau de bien-être maximal le plus vite possible pour pouvoir repartir sur un autre effort quelques jours après.

Évaluation de l’efficacité de la récupération

HP : Comment évaluez-vous l’efficacité d’une session de récupération ?

M.L. : La sudation est un bon moyen de juger de l’intensité de l’effort. Sur le même galop, on peut avoir un cheval qui ne va pas transpirer et un autre qui va transpirer énormément. La quantité d’eau bue par les chevaux à la suite de la récupération nous indique la quantité d’eau qu’ils ont perdue durant l’effort. De plus, la vitesse à laquelle les chevaux sèchent permet d’évaluer la qualité de la respiration.

La réhydratation est donc essentielle dans la récupération musculaire et physique du cheval. Pour évaluer qu’un cheval est suffisamment réhydraté, on peut prendre et relâcher un pli de peau sur l’encolure : si la peau est bien élastique et se retend tout de suite, c’est que le cheval est réhydraté. Si elle met un peu de temps à se retendre, voire si le pli persiste, c’est que le cheval est déshydraté.

D’autres paramètres nous permettent d’évaluer l’efficacité de la récupération. On pense notamment à la couleur des muqueuses, la vivacité des yeux, la brillance du poil, ou encore l’attitude du cheval. Un cheval qui a bien récupéré est un cheval qui est aussi alerte que d’habitude.

Maxime Livio : travail du cardio du cheval

À retenir : La condition physique et l’endurance des chevaux sont directement liées à l’efficacité de leur système cardio-respiratoire. Pour atteindre une performance optimale, il est donc essentiel, d’une part, d’entraîner leur cœur à assumer un effort intense et prolongé, et d’autre part, d’augmenter leur capacité respiratoire. Un travail progressif et régulier du cardio permet aux chevaux d’atteindre leur plein potentiel athlétique tout en préservant leur santé sur le long terme.

C’est avec fierté que nous comptons Maxime Livio parmi nos ambassadeurs & athlètes Horse Pilot et que nous l’accompagnerons dans ses projets. Merci à lui de nous avoir partagé son expérience.

Crédits photos : Stephane Cande